En cette période de mobilité réduite, de frontières
fermées, de repli sanitaire qui se prolonge, le dépaysement passe par la
lecture ou la visite d’exposition. Etre à Paris en fin d’année 2021 et début
2022 était donc une grande chance pour s’offrir l’occasion de voyager dans des
contrées lointaines.
L’exposition « Tadjikistan. Au pays des fleuves d’or »,
au musée Guimet a fait partie de mon programme et bien que terminée depuis le
10 janvier 2022, m’y replonger pour me remémorer cette visite est une délectation
à partager.
Vivre en Turquie depuis des décennies m’a familiarisée
avec les brassages de populations, les influences culturelles de diverses
civilisations, les liens entre le Moyen-Orient, l’Asie Centrale et l’Extrême-Orient au
cours des millénaires.
Je ne m’attendais cependant pas à découvrir tant de
richesses archéologiques concernant ce petit pays méconnu. Il faut dire que
l’exposition présente un concentré des plus belles pièces des musées de sa
capitale Douchanbé, provenant de plusieurs missions archéologiques, de prêts d’objets conservés au British Museum et de pièces des collections du musée Guimet.
Enclavé entre l’Afghanistan, l’Ouzbékistan, le
Kirghizstan, la Chine et le Pakistan, le
Tadjikistan, aux frontières sinueuses tracées par l’URSS avant sa chute, vient
de commémorer en 2021 le 30e anniversaire de son indépendance. Mais
il couvre plusieurs régions historiques aux noms évocateurs : la Sogdiane
au nord ouest et la Bactriane au sud ouest, et fut une terre d’échanges et de
conquêtes depuis le Néolithique. De ce fait, les vestiges retrouvés sur de
nombreux sites et exposés couvrent une longue période, du 4e
millénaire avant notre ère jusqu’à l’avènement de l’émirat samanide aux 9 et 10e
siècles. Pour ne pas se perdre, le panneau de la chronologie n’est pas
superflu.
Sarazm, site archéologique proto-urbain, a été trouvé en
1976 par un fermier et a fait l’objet de fouilles franco-tadjiks.
On y a découvert entre autres la riche sépulture d’une
femme parée d’un collier constitué de 49 perles en or massif daté du milieu du 4e millénaire, provenant de la vallée
du Zeravchan, et ornant la tête de celle que l’on nomme désormais « la
princesse de Sarazm ». Un sceau
cylindre de la fin du 4e millénaire dont l’empreinte fait apparaitre
un bovin sur une ligne, et une rosette ou fleur à douze pétales, or et
turquoise, ornement d’un bâtiment cultuel, datant du début du 3e
millénaire avant notre ère.
Ce site a été inscrit au patrimoine mondial par l’UNESCO
en 2010. Il serait l’un des tout premiers peuplements sédentarisés, d’une communauté regroupée autour d’une activité agro-pastorale en Asie
Centrale.
La richesse en minéraux (or,
étain, turquoise, rubis, lapis-lazuli…) de la vallée du Zeravshan explique le
développement d’un artisanat et d’un centre d’échanges à longues distances. Les
prémices d’un faisceau de voies commerciales qui se développeront et seront
regroupées plus tard sous l’appellation récente de Route de la Soie.
Au 6e siècle avant notre ère, la Sogdiane et
la Bactriane n’échappèrent pas au vaste programme de conquête de Cyrus II,
empereur de la Perse achéménide. La région fut administrée par des satrapes et
l’on procéda à l’édification de forteresses dotées de garnisons pour se
protéger des Saka (Scythes orientaux).
Quelques pièces du Trésor de l’Oxus, collection d’environ
180 objets en or et en argent habituellement conservée au British Museum,
témoignent de leur présence.
Telle cette plaque votive en or, figurant un officiant
vêtu du costume des chefs achéménides (tunique, pantalons étroits, bottes,
portant à la ceinture une courte épée (akinakès) et tenant un faisceau de tiges
de tamaris ou de grenadier, le barsom, élément du culte zoroastrien. (Crédit :
https://amis-musee-cernuschi.org/tadjikistan-au-pays-des-fleuves-dor-3/)
Depuis cette période, la culture et la langue du
Tadjikistan sont associées à l’histoire du monde perse.
Mais d’autres influences ont marqué durablement la région
avec la conquête suivante, celle d’Alexandre le Grand au 4e siècle
avant notre ère. Ses successeurs, les Séleucides s’allient aux Bactriens et aux
Sogdiens, installent des colons et fondent des cités.
Les royaumes gréco-bactriens s’effondrent au milieu
du 2e siècle avant notre ère devant l’afflux des nomades Saka et
Yuezhi qui se rassembleront plus tard sous l’égide des Kouchans. L’affiche de l’exposition
porte l’illustration d’une boucle de ceinture en or représentant une scène de
chasse au sanglier, 2e/1e siècle avant notre ère, (Saksanokur). La composition est hellénisée mais le
costume du cavalier ainsi que les ornements de la selle sont typiquement
steppiques avec les caractéristiques du milieu culturel Saka/Yuezhi.
L’empire kouchan s’établit en Asie centrale et au nord de
l’Inde de 100 à 240.
Bien que zoroastriens, les Kouchans ont participé à la diffusion du bouddhisme (dont
l’Inde est le berceau) et au développement d’un art dit gréco-bouddhique (dont
faisaient partie les Bouddhas de Bamiyan). La dynastie Kouchane érigea une
société éclectique basée sur les cultures gréco-romaines, iraniennes et
indiennes. Les documents officiels kouchans sont en Bactriane, une langue iranienne
(le bactrien) écrite en caractères grecs. La stabilité permit d’assurer la
sécurité des transactions commerciales en Sogdiane, carrefour des pistes caravanières,
et tout au long des itinéraires.
Au début du 3e siècle, l’extension de l’empire
perse sassanide provoque le déclin puis la chute de l’empire kouchan.
Puis au début du 5e siècle se profile l’installation
des nomades hephtalites (Huns) délogés un siècle plus tard par l’établissement de
pouvoirs turcs en alliance avec les Sassanides.
Seuls vestiges de leur présence à
cette époque, des pierres tombales anthropomorphes des sépultures de nomades
turcs, dans le district de Djirgatal, 6e/7e siècle.
Issus des croyances chamaniques, ces balbals
incarnent l’esprit des défunts.
Une période prospère de 543 à 753 s’ouvrira pour les
marchands sogdiens qui depuis le 3e siècle ont installé des
comptoirs jusqu’en Chine.
Des textes chinois évoquent leurs activités commerciales et caravanières avec
respect et admiration. Ils ont même fourni des sujets de représentation pour des
mingqi (statuettes et objets confectionnés pour un
usage funéraire, se substituant progressivement dès fin des Zhou mais surtout
sous les Han, aux différents objets rituels (vases en bronze) et aux animaux et
humains sacrifiés dans les tombes des élites des dynasties chinoises Shang et
Zhou). Ces mingqi du 7e siècle des collections du musée
Guimet témoignent de leur présence en Chine. Un chameau de Bactriane se relevant et un palefrenier.
L’exposition offre aussi au regard des fresques de leurs
maisons à étages dans la cité de Pendjikent, (moins connue que Boukhara ou
Samarkand de l’autre côté de la frontière ouzbek). Elles évoquent le commerce
caravanier dont ils eurent le quasi-monopole.
Une statuette en bois et des ossuaires en terre cuite attestent
de l’appartenance des Sogdiens au mazdéisme dont ils suivaient les pratiques funéraires
par un décharnement effectué par des animaux sur les tours du silence (dakhma) pour ne pas souiller la terre. Ils
vouaient un culte au feu mais s’éloignant des préceptes zoroastriens respectés
en Iran, ils priaient aussi des idoles.
La statuette dénudée, entourée de ses accessoires
vestimentaires, représente probablement Mithra, dieu solaire du Mazdéisme. Elle
proviendrait d’un temple local du Zeravchan, Kukh-i Surkh. Elle est datée du 5e/6e siècle.
L'islamisation de la région va progresser durant le règne
des Samanides (819–1005), dynastie
perse, puis des Ghaznévides, dynastie turque (962– 1187).
Selon les termes de Valérie Zaleski, commissaire de
l’exposition, « Au cœur de l’Asie Centrale, le Tadjikistan est le pays de
l’entremêlement » et c’est bien l’impression que l’on garde de cette
exposition ! Une diversité d’influences culturelles, cultuelles, au cœur du
monde antique et des réseaux d’échanges entre les steppes, le sous-continent
indien et les oasis de l’ouest de la Chine, qui en font l’exceptionnelle
richesse.
Sources :
* Visite-conférence par Sylvie Ahmadian, conférencière au
Musée national des arts asiatiques – Guimet.
Étienne de la Vaissière, Maître de conférences à l'École
pratique des hautes études
* Les Kouchans dans l'histoire de l'Asie centrale et de
l'Inde, Gérard Fussman Professeur au Collège de France
Quel beau voyage, merci.
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